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  • Thalassographie
   

" Il faut dans la plaine salée Avoir lutté contre Malée, Et près du naufrage dernier, S'être vû dessous les Pleyades Eloigné des ports & des rades, Pour être cru bon marinier . "

 

 

 

 

Attention aux baleines en venant !

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David Cosandey, Le Secret de l'Occident , Arléa, Paris, Oct 1997



Dans le chapitre 1, il réfute diverses explications traditionnellement avancées pour rendre compte de la réussite européenne: hypothèses religieuse, culturelle, etc...

Dans le chapitre 2, il expose une théorie politico-économique originale du progrès techno-scientifique: la théorie méreuporique (du grec meros , diviser, et euporeos , être dans l'abondance). Deux facteurs seulement se révèlent indispensables à l'avance des sciences dans une civilisation donnée. Ce sont l'essor économique et la division politique stable. Il justifie cette affirmation en détail dans le cas de l'Europe occidentale, qui justement a connu la prospérité et la division stable pendant toute la période de son "miracle", c'est-à-dire tout le IIe millénaire.

Dans les chapitres 3, 4 et 5, il montre que cette théorie politico-économique, appliquée à l'Islam, à l'Inde et à la Chine, explique très bien, siècle après siècle, toutes les phases d'avancée et de stagnation scientifique de ces civilisations. On observe d'autant plus de progrès techno-scientifique que le commerce est plus prospère et que la division politique est plus stable.

Dans le chapitre 6, il explique pourquoi l'Europe occidentale a connu le succès économique et la division stable plus durablement que les trois autres civilisations. Son avantage fondamental a été sa silhouette géographique arborescente, abondamment pénétrée par la mer, richement dotée en péninsules, en détroits, en îles et en mers intérieures. Il a baptisé cette configuration exceptionnelle une thalassographie articulée.

Dans le chapitre 7, il montre que la théorie méreuporique, puis thalassographique, explique très bien aussi le miracle grec de l'Antiquité.

Dans le chapitre 8, il examine les XIXe et XXe siècles. Il explique à l'aide de sa théorie pourquoi le miracle européen se termine, et pourquoi les Etats européens traditionnels perdent leur prédominance au profit des Etats néo-européens (USA, URSS), qui les rattrapent, les surclassent puis s'effacent à leur tour.

Dans le chapitre 9, il examine la situation du monde contemporain (fin de la guerre froide, expansion de l'Asie, etc.). Il donne une explication aux difficultés actuelles de l'Europe; il énumère les conditions d'un redémarrage éventuel.

 
       
   

Une morphologie territoriale marquée par la compénétration des terres et des mers, telle que la présente la péninsule européenne richement dotée en détroits, isthmes, archipels, mers intérieures, baies, presqu’îles, etc. constitue une configuration géographique qui prédispose au progrès. Elle offre les conditions favorables à partir desquelles peuvent jouer à plein les effets positifs du système d’Etats prospère. La présence de mers et d’océans est favorable au commerce (avantages en terme de liberté, débit, confort, vitesse, coût), elle l’est moins pour ce qui touche aux opérations militaires (en tant que meilleures frontières et défenses naturelles qui soit) : « la mer est le milieu par excellence du commerce, la terre celui de la guerre » (p. 509). L’« optimum géographique », qui avantage idéalement l’essor économique et la division politique stable, est donc l’interpénétration des terres et des mers qu’offre un profil côtier très irrégulier, autrement dit une thalassographie articulée : « la grande ouverture sur la mer favorise le commerce. Un profil côtier sinueux délimite des domaines à l’intérieur desquels des Etats peuvent se former et se consolider » (p. 501). Et c’est bien sûr l’Europe qui se rapproche le plus de cet optimum : « Avec sa silhouette arborescente, ses nombreuses péninsules et bras de mer, l’Europe est à la fois vaste, soudée en un seul bloc et très articulée. Elle offre des domaines distincts pour ses Etats et un accès rapide à la mer pour tous ses habitants » (p. 510). La valeur civilisatrice de l’articulation littorale se mesure par la longueur de la côte rapportée à la superficie de la région correspondante. Cette mesure est rendue plus « objective » en y ajoutant une « dimension fractale ». Elle est donc un « indice de développement » qui lui permet d’« affirmer, chiffres à l'appui, que l'Europe occidentale a réellement un profil plus articulé, plus complexe, que le Moyen-Orient, l'Inde et la Chine ». Chiffres à l’appui, la civilisation européenne a inventé la science, le capitalisme et la démocratie grâce, indirectement certes, au dessin de son littoral.

Le miracle grec de l'Antiquité est expliqué ainsi par Cosandey.

 
       
   

Petite introduction à la "thalassographie articulée"

Soit trois profils côtiers imaginaires. On discerne aisément lequel a le dessin des côtes le plus articulé.

Le premier littoral ne possède ni saillants ni rentrants; il est quasiment rectiligne. Chaque secteur y est équivalent à tous les autres. Le deuxième possède des indentations, mais pas assez pour que sa silhouette soit vraiment complexe et articulée; sa configuration reste linéaire. Seule la troisième thalassographie (du grec thalassa , la mer, et graphein , écrire) mérite l'épithète d'articulée. Ce troisième profil abonde en isthmes, en péninsules et en îles. Il a des mers intérieures et des golfes. Ses excroissances de terres pointent en direction des rivages opposés. Cet agencement encourage les habitants à s'aventurer en mer, facilite les échanges commerciaux et protège d'invasions venant de plusieurs directions.

Comment calculer un "indice de thalassographie"?

Au-delà de l'intuition, la thalassographie articulée est une notion qu'il est possible de chiffrer.

Un premier moyen de le faire, fort grossier, consiste à déterminer la part des péninsules et des îles dans la superficie totale, c'est-à-dire à chiffrer l'importance des membres par opposition au tronc (on parle alors d'indice de marinité). Cet indice met en évidence le caractère très maritime de l'Europe, par opposition au caractère terrien de l'Islam, de l'Inde et de la Chine. Mais l'indice de marinité revient simplement à chiffrer les appréciations faites à l'il devant la carte, puisque la répartition entre le tronc et les membres est en grande partie arbitraire.

Une autre moyen de chiffrer la thalassographie articulée est de mesurer la distance à la mer du point le plus isolé au centre des terres. A superficie égale, on peut s'attendre à ce que la région dont la thalassographie est la plus articulée ait en général des points centraux plus proches de la côte. Là encore, les chiffres donnent une supériorité nette à l'Europe, dont les points les plus isolés sont deux fois plus proches de la mer que les points isolés des trois autres régions.

On peut calculer un troisième indice, plus performant, en déterminant, pour chacun des points des quatre régions, la distance moyenne à la mer.

Un moyen encore plus élaboré de calculer un indice de thalassographie articulée consiste à mesurer le rapport entre la longueur des côtes et la superficie de la région étudiée. Ce rapport est appelé indice de développement. Là encore, l'Europe bénéficie de l'interpénétration des terres et des mers la plus forte, et donc la plus propice au commerce et à la division politique stable.

Mais rien ne vaut l'indice fractal!

Mais l'indice le plus objectif est l'indice fractal. Le concept de dimension fractale, inventé par le mathématicien français Benoît Mandelbrot dans les années 60, s'applique aux courbes complexes infiniment longues mais circonscrites à un domaine fini. Par leurs nombreux plis et replis, ces courbes remplissent mieux l'étendue dans laquelle elles se déploient que les courbes simples habituelles.

La dimension fractale d'une ligne complexe est toujours comprise entre une ligne simple qui a une dimension (entière) de 1, et une surface qui a une dimension de 2. Plus une courbe est complexe et articulée, plus sa dimension fractale est élevée, c'est-à-dire proche de 2. Pour la côte occidentale de la Grande-Bretagne, très déchiquetée, la dimension fractale vaut 1,25. Pour des profils moins déchiquetés, comme celui du Portugal, entre 1,13 et 1,15. Pour le littoral presque rectiligne de l'Afrique du Sud, 1,02 seulement.

Pour calculer la dimension fractale d'un littoral, on mesure la vitesse d'allongement de sa longueur lorsqu'on la mesure avec des segments de plus en plus petits, entre 10 et 1000 km, et donc de plus en plus précis. L'indice fractal confirme une fois encore le net avantage de l'Europe.

D. C.

Dimension fractale des domaines géographiques de quatre civilisations (sans leurs îles)

Dimension fractale
Europe occidentale 1,24
Islam 1,12
Inde 1,11
Chine 1,13

Dimension fractale des domaines géographiques, îles incluses

Dimension fractale
Europe occidentale 1,42
Islam 1,12
Inde 1,19
Chine 1,26